La rentrée
du Ballet National de Marseille
Par Nelly Rajaonarivelo Publié dans La Revue Marseillaise du Théâtre, oct/nov 2006, p. 16.
Son directeur, Frédéric Flamand, la résolument annoncé lors de la présentation de la saison 2006-2007 : le BNM, dont la renommée internationale croissante sest forgée avec ses récentes créations contemporaines, se doit néanmoins de renouer avec le répertoire classique. A défaut des grands ballets romantiques, cest chose faite dès la rentrée avec un programme en partie néoclassique, les 15/16/17 septembre dernier à lOpéra de Marseille.
Sous le signe des Ballets Russes Avant la découverte de toute énième nouvelle version du Sacre du printemps, on se sent paradoxalement à la fois blasé et aux aguets... Le Sacre du printemps est, à nen pas douter, luvre emblématique des Ballets Russes de Diaghilev. Curieux destin de cette uvre qui, tombant immédiatement dans loubli durant des décennies après le scandale de 1913, est un des ballets qui aura connu le plus de relectures (plus de 200 recréations à nos jours), au rythme actuel de 2 ou 3 nouvelles versions par an dans le monde. Celle de lAméricain Petronio (re-création 2006) qui clôturait le programme du BNM ne marquera probablement pas durablement lhistoire de ce ballet mythique. On y retrouve cependant lesprit primitiviste des créateurs, tant dans la gestuelle que dans une vraie création de costumes un peu « ethniques », un patchwork de tissus bariolés cousu sur des académiques noirs, identiques pour tous les danseurs sauf lElue. Plus de cloisonnement, donc, entre les clans des Adolescentes, des Sages, des Ancêtres ou des Jeunes Hommes, mais une sorte de tribu homogène, qui ne suit plus les scènes du livret original. Au contraire, le groupe semble progressivement dompté par une Elue toute puissante (Agnès Lascombes) : elle ouvre le ballet, déjà offerte, presque nue sous son faisceau de lumière rouge-terre, coiffée dune grosse tresse africaine dont lextrémité lui passe entre les fesses pour figurer le pubis au devant. A la fin de ce prélude, un guerrier armuré vient la chercher, et on sattend au traditionnel sacrifice final. Pourtant, lorsquelle réapparaît à la fin, vêtue dune courte robe cintrée en plastique transparent (virginité déjà perdue ?), cest elle qui semble écraser tous les autres qui sécroulent à ses pieds, immobiles dans le noir jusquà la fin de sa danse sacrale. Le clin dil à Nijinsky est net : fond noir, douche de lumière crue sur lElue dont la danse épuisante reprend les tremblements des genoux si caractéristiques. Séloignant de la thématique sexiste et de la fertilité agricole, cest peut-être plus généralement les instincts de notre société actuelle qua voulu figurer Petronio : son animalité malgré la modernité, son esclavage dune nouvelle ère, évoqués par deux couples de maîtres tyrannisant leur robot humain soumis. La vraie originalité de cette création reste lexécution de la version pour deux pianos de la partition de Stravinsky, superbement interprétée en direct par Vladik Polionov et Nathalie Lanoë. Lajout, au milieu, de quelques minutes de la musique de Mitchell Lager reste insolite. Dabord orientalisante, elle semplit de guitare rock jusquà saturation et sachève sur des soupirs érotiques, qui soulignent la sensualité du mouvement. Toutefois, martelée de percussions, elle met en valeur la pulsation générale de luvre puissante de Stravinsky.
Contraste complet avec lobscurité du Sacre : louverture du programme avec En sol (1975) lumineux et ensoleillé. Ce nest certes pas une pièce des Ballets Russes, mais elle semble pourtant droit issue de son esthétique. Surprenant retour en arrière chorégraphique, pourrait-on penser, quinze ans après le West Side Story (film de 1960), dun Robbins apparemment ancré dans la modern-dance. Mais ce serait oublier que ce russe dorigine, chorégraphe pour le New York City Ballet de Balanchine, dont il deviendra co-directeur, sest formé par linterprétation des uvres de Massine, Fokine, et de Balanchine lui-même, trois des plus célèbres chorégraphes de Diaghilev. Paris ne sy trompe pas en commandant à Erté, pour la reprise dEn sol quelques mois après sa création, les costumes épurés de baigneurs chics et le décor de plage, soleil et nuages suggérés façon Arts déco, que nous venons dadmirer également sur la scène de lOpéra de Marseille. Erté, styliste et grand couturier, également dorigine russe, avait collaboré tout comme Ravel, dont le concerto éponyme est la musique dEn sol avec Diaghilev et Léon Bakst pendant ses heures de gloire dans le Paris des années 20. Ses maillots rafraîchissants, avec jupettes pour les filles, collants pour les garçons, nous baignent dans lunivers poétique du Concerto en sol de Ravel (1931), dont la liquidité du piano et de la harpe est ici mise en valeur : ondoiement des vagues en dégradé de pastels sur les justaucorps, ondulation des bras sous la brise marine, écho mobile au soleil rayonnant et à la mer moutonneuse stylisés sur la toile de fond. Ensemble jeune et sportif, sans argument, abstrait, qui nest pas sans nous rappeler Les Biches ou Le Train Bleu des Ballets Russes, avec pour seul motif la parade amoureuse du couple soliste (Cinthia Labaronne et Gilles Porte), tout de blanc vêtu, qui culmine dans le magnifique Adagio central. Lart de Robbins est davoir marqué de son sceau contemporain, « jazzy » même, la technique classique balanchinienne, pourtant déjà très modernisée, mais fidèle aux pointes et surtout à la pureté de la ligne. Ici, dans la structure dun très classique Pas de deux (alternance du groupe, des variations des solistes masculin et féminin, et enfin du couple), on repère des poses et des glissés jazz, qui renvoient à Broadway et collent aux effets de la musique de Ravel, quil dit lui-même empruntés au jazz. Si on les félicite de leur intérêt pour ce répertoire, on regrettera un peu que les danseurs du Ballet National de Marseille (manque de rodage après les vacances ? fatigue pour la troisième représentation? Entraînement contemporain excessif?) naient pas rendu complètement cette fluidité, le moelleux et le lié du mouvement si impérieusement exigé par la musique, dans des portés un peu brusques et quelques enchaînements hachés. Lamour toujours Entre la lumière et lombre venait Morning ground (2004) de langlais David Dawson, tout nimbé de douce clarté tamisée par de grandes tentures blanches et bercé du piano de Chopin. Plus intimiste, avec ses quatre danseurs (A. Lascombes/J. Lestel, M. Martel/F. Carré), cette pièce varie encore le thème de la relation amoureuse. En bustier de dentelle noire et short, les danseuses allongent magnifiquement leurs jambes sur leurs pointes tandis que les deux danseurs exhibent leur musculature raffinée. Poésie et sensualité se marient à la grande émotion suscitée à nouveau par le touchant pianiste V. Polionov tel un chef qui, tout en suivant sa partition, ne quitte pas les danseurs des yeux pour une parfaite synchronisation.
Après la reprise de lOiseau de feu la saison dernière, ainsi que des pièces de Balanchine, le BNM sest donc attaqué à un autre monument, si ce nest "Le Monument", de la tradition des Ballets Russes, le Sacre. Souhaitons quil poursuivre à lavenir un rééquilibrage entre classique et contemporain qui met à profit le bagage technique exigent des danseurs et fait le bonheur de tous les publics. |
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Le Sacre du printemps de Petronio | |||||
L'Elue du Sacre du printemps |
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En sol, de Jerome Robbins
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Morning ground, de David Dawson |
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